Auteur

Liliane Schraûwen

Auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles, Liliane Schraûwen nous offre ici une série de textes émouvants ou drôles, souvent dérangeants, parfois caustiques, jamais anodins. On ne sort pas indemne de cette rencontre… En savoir plus

a publié
chez Quadrature

Extrait

Marée basse

L’autoroute file vers ailleurs, droite et grise. Il n’y a pas beaucoup de circulation. Normal, c’est un jour de semaine, en milieu de matinée.

Stéphane se souvient de tous ces trajets qu’il a faits, si souvent, vers la ville où vit son amour. Danièle, mur- mure-t-il à mi-voix, et des larmes lui viennent aux paupières à ce nom sur ses lèvres, ce nom qu’il ne prononcera plus que pour lui seul, comme aujourd’hui. Danièle, qu’il appelait son amour.

— Danièle. Mon amour…

Il pleure sans honte, tout seul dans la voiture qui glisse sur l’asphalte. De toute façon, il n’y a personne pour voir ces larmes ridicules, personne pour s’intéresser à lui, à sa peine, à son remords, à ses regrets. Il est seul. Vraiment seul, pour la première fois depuis bien longtemps. Pour toujours sans doute.

Sur le siège-passager, à côté de lui, il a posé son téléphone portable. Comme si souvent, comme à chaque fois qu’il s’en allait en voiture vers Danièle ou vers Marie-Jo ou vers une autre.

— Mon portable est devenu mon meilleur ami, disait-elle. Il est près de moi, comme un petit animal fidèle et familier. Je sais qu’il peut sonner à tout instant, et m’apporter ta voix. Quand il est éteint et qu’il dort au fond de mon sac, de temps en temps je fais mine de prendre un mouchoir ou autre chose, je pose la main sur lui. Il me suffit de quelques mouvements du doigt pour donner vie à tous ces messages où tu me dis des choses gentilles.

Et encore:

— Ta voix est prisonnière à l’intérieur. Ta voix, tes mots tendres. Pendant que je travaille et que je suis obligée de le laisser coupé, je pense que, peut-être, tu m’appelles, que tu me dis des phrases qu’il va me répéter, quand je l’éveillerai.

Il était ému. Étonné de la confiance qu’elle lui offrait, de la douceur qui coulait d’elle vers lui. Étonné d’être ainsi aimé, désiré, espéré. Un peu gêné parfois. L’impression de ne pas mériter ce cadeau. […]