Auteur

Olivier Coutier-Delgosha

Olivier Coutier-Delgosha est professeur des universités et chercheur en mécanique des fluides. Il vit aux États-Unis, en Virginie, avec sa femme Mitra et leurs enfants Aurélien, Arthur, Anoush et Anahita. En savoir plus

a publié
chez Quadrature

Extrait

Un travail d’artiste

– Tu me prends pour une conne ? Franchement, quitte à me tromper, tu pourrais au moins le faire de façon vaguement originale, au lieu de t’envoyer en l’air avec ta collègue blondasse. Ça fait un peu cliché, tu ne trouves pas ? Je te croyais décevant, mais tu n’es que minable, en définitive.

C’est bien envoyé, ça, cette petite ne me déçoit pas. J’ai bien fait de placer tous mes espoirs en elle.

– Mais mon cœur, c’est n’importe quoi ! Je ne pouvais pas faire autrement que lui parler, on se rend au même séminaire… elle prend le même avion que nous !

– Arrête, ou je vais hurler. J’ai bien vu comment tu lui parlais. Je m’en doutais, de toute façon. Les réunions jusqu’à vingt-et-une heures, on sait ce que ça veut dire. Mais amener ta maitresse avec nous en vacances, j’avoue que c’est gonflé ! Tu avais prévu quoi au juste… un petit plan à trois ?

– Enfin ma puce, qu’est-ce que tu racontes ? Je ne t’ai jamais menti, je te le jure !

– Tais-toi, tu me dégoutes.

Ma puce est rouge comme une tomate trop mure, elle est parfaite. La rencontre fortuite avec la collègue plus jeune et plus jolie, ça marche à tous les coups. C’est une merveilleuse chose que la jalousie. Il ne manque plus que le dernier acte : elle va me planter ce grand benêt en beauté.

– Mon amour, c’est insensé. Alicia ne vient pas en vacances avec nous, elle…

– Tu sais quoi ? Vas-y tout seul dans ton hôtel de luxe. Vous allez pouvoir vous éclater, Alicia et toi, je n’ai rien à faire là-bas. Allez, bon vent, profite bien de la piscine !

Elle lui jette son passeport à la figure et se dirige à grands pas vers la sortie du hall, le laissant en plan dans la file d’attente pour l’enregistrement. Son futur ex-mari la regarde partir la bouche ouverte, les autres passagers regardent ailleurs, j’ai envie d’applaudir. Il est sous le choc, le brave garçon, je n’ai qu’à le pousser un peu avec ma canne pour le faire avancer docilement. Heureusement qu’il ne peut pas voir ses larmes quand elle fait signe au taxi que je lui ai mis sur son chemin, ça pourrait lui donner l’envie de lui courir après, et tout serait à refaire. J’avoue que c’est un petit pincement au cœur de la laisser partir, mais il fallait faire ce sacrifice pour que je puisse embarquer. Le vol est complet, et je me suis procuré le même billet que le sien.

Dans quelques heures, les flics sonneront à sa porte pour lui demander pourquoi elle ne s’est pas enregistrée sur le vol New York – Charlotte qui s’est crashé à l’atterrissage, ou peut-être empalé sur un gratte-ciel au décollage, j’hésite encore.

Ce sera un énorme choc pour elle. Pourquoi lui, pourquoi pas moi… Avec un peu de chance, elle ne s’en remettra jamais, et se jettera du pont de Brooklyn dans un ou deux ans, pour ne plus faire de cauchemar la nuit. Un bon petit suicide pour finir en beauté, je ne crache pas dessus.