Auteur

Jean Pierre Jansen

Après une trentaine d’années consacrées à la science agronomique et aux petites bestioles, d’abord comme étudiant puis comme chercheur, l’auteur a décidé de tout plaquer pour se consacrer à une… En savoir plus

Extrait

Problème de genoux

Dire que toutes les opérations de saisie, d’enlèvement et de vente des biens des personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas honorer leurs créances se déroulent dans la joie, le bonheur et l’allégresse serait travestir quelque peu la réalité. La plupart des dossiers se bouclent sans trop de heurts. Les gens, après moult mises en garde et courriers divers, acceptent en général les choses avec une certaine dose de philosophie. Ou au moins avec résignation. Surtout quand on se pointe chez eux un petit matin pour faire un premier inventaire des objets qui pourraient partir en salle de vente. Mais il y a des exceptions et certaines affaires que j’ai eu à traiter ont été beaucoup plus violentes.

J’ai déjà pris des coups. Je me souviens d’un direct du droit, reçu suite à la saisie d’un canapé en cuir. Jusque-là, cela ne s’était pas trop mal passé avec le gars et ma bonne éducation m’avait fait tendre la main pour lui dire au revoir. Et puis boum. Je ne savais pas que j’avais en face de moi un ancien boxeur semi-professionnel et je n’avais rien vu venir. J’ai aussi subi les assauts d’un karatéka. Là, c’était même avant d’entrer dans l’appartement, quand j’ai décliné mon identité et la raison de ma présence dans l’embrasure de sa porte. Mais contrairement à mon boxeur, mon karatéka n’était pas semi-professionnel. Amateur pur jus. Le genre qui parade en tenue dans une salle de sport, mais ne monte jamais sur le tatami, car il sait par expérience qu’il va se faire démonter au premier round par un junior. Son premier coup de pied m’a surpris. Il m’a fait aussi un peu mal, mais surtout surpris. Le second coup venait du bras droit et était par contre méchamment téléphoné. J’ai largement eu le temps de bouger ma carcasse et mon karatéka de banlieue s’est mangé le chambranle de la porte. En général, ces trucs sont prévus pour être solides. Plus que le fragile assemblage de carpes, métacarpes, tendons et ligaments qui font qu’une main est une main. De rage, il a tenté un troisième coup, du pied gauche cette fois-ci. En suivant les préceptes de je ne sais plus quel gourou qui dit qu’il faut crier comme un putois en même temps que l’on frappe. Je n’ai pas eu trop de difficultés à bloquer le fragile assemblage de tarses, métatarses, tendons et ligaments qui font qu’un pied est un pied. Après, j’avais deux options. Soit je lui demandais de se calmer et j’attendais un peu avant de relâcher mon étreinte, soit je lui torsadais la jambe jusqu’à entendre un craquement. J’ai choisi la première solution, non sans avoir fait mine d’opter un instant pour la seconde, histoire de montrer qui était le chef dans cette conversation. Mais ma présence étant déjà une certaine forme de violence pour beaucoup de personnes, autant ne pas en rajouter. Puis, on est là pour saisir des biens et, en théorie, on ne peut pas envoyer les gens à l’hosto sous peine d’avoir des tonnes d’emmerdes en retour. Après, comme il avait méchamment mal à la main qui avait tâté du bois et que cela commençait à gonfler et à changer de couleur, je l’ai quand même conduit aux urgences. Je suis repassé la semaine suivante et quand il m’a ouvert, même s’il n’était pas super heureux de voir ma bobine, il a laissé son chambranle de porte intact. Avec une main dans le plâtre, autant de ne pas tenter le diable non plus.