Auteur

Jacqueline Daussain

Jacqueline Daussain est née à Namur en 1955. Elle vit à Lustin. Durant son enfance, la maison familiale est aussi l’un des cafés du village tenu par sa mère et… En savoir plus

Extrait

Que chaque jour soit un dimanche

Tu m’as appelé « papa » et j’ai eu peur. Je n’ai pas reconnu ta voix. Je n’ai pas reconnu ton intonation.

À longueur de journée, depuis tant d’années, tu me dis « papa ». Chaque fois, cela m’agace.

— Bois ton café, papa, il va refroidir.

— Tu as faim, papa ? Veux-tu dîner ?

— Papa, n’oublie pas tes gouttes. C’est l’heure. Papa, papa, papa… C’est ridicule. Je suis ton mari.

Nos enfants sont partis depuis longtemps, maintenant. Nous avions décidé de vivre cette nouvelle tranche de vie comme si nous venions de nous rencontrer. Comme si nous allions nous découvrir. Tu disais : « Tu crois me connaître par coeur ? Tu me verras peut-être d’un autre oeil quand tu passeras toutes tes journées à mes côtés ! » Une vie de nouveau couple. Faire comme si. On le voulait très fort. Tu y croyais vraiment. On y est arrivés de temps en temps. Mais jamais tu n’as pu perdre cette habitude de m’appeler « papa ».

Quand les enfants vivaient encore avec nous, ça passait mieux. Maintenant, chaque « papa » sortant de ta bouche m’irrite. Chaque fois, je me retiens de te dire que je m’appelle Luc.

J’aime entendre prononcer mon prénom : Luc. À mon premier jour, on me l’a donné. Un prénom choisi exprès pour moi. Enfant, adolescent, jeune homme, j’ai entendu mes parents, mes profs, mes amis, des femmes le prononcer. J’ai aimé dans leurs bouches sa résonance : ronde d’abord, percutante ensuite.