Auteur

Stéphanie Mangez

Petite, Stéphanie Mangez se rêvait juge de la jeunesse ou comédienne. Au moment d’entrer au Conservatoire d’Art dramatique, elle avait un diplôme de droit en poche. Depuis, elle mène de… En savoir plus

a publié
chez Quadrature

Extrait

L’étoffe d’une mère

 

La gynécologue entame un monologue plus proche du charabia que du langage parlé, ses yeux rivés sur l’écran. Elle prend des mesures, trace des lignes pointillées, des chiffres apparaissent. Allongée à moitié nue, les pieds dans les étriers, je l’observe avec une pointe d’appréhension. Elle replace ses lunettes bicolores, oriente discrètement l’écran vers elle. Après un temps qui me semble infini, elle se tourne vers moi.

– Le cerveau de votre fœtus ne s’est pas développé. Il va falloir mettre un terme à votre grossesse. Vous avez de la chance, nous sommes en été. Il y a moins de monde, nous allons pouvoir procéder rapidement.

De la chance, vraiment ? Je ne relève pas la maladresse. Ma gynécologue a les cheveux teints, probablement pour masquer ses premiers cheveux blancs. Elle s’active, me tend une serviette, je retire la gélatine étalée sur mon ventre, elle enlève ses gants, passe sa main dans ses cheveux couleur bordeaux grand cru, pousse ses lunettes vers le haut de son nez, occupe l’espace exigu par sa chorégraphie saccadée. Je pense au diner programmé ce soir avec mon père et Gloria, sa nouvelle compagne, une danseuse cubaine de trente ans sa cadette. Gloria qui a les fesses de Beyoncé et la bouche en cul de poule. Je vais annuler ce diner.

La gynécologue se tourne vers moi.

– Ça va ? C’est toujours un petit deuil. Vous voulez appeler votre compagnon ?
Je lui fais signe que non. Antoine n’a pas encore pris la mesure de cette grossesse. Il se montrera surement prévenant, mais ce « petit deuil » je le porterai seule.

La doctoresse enchaine : C’est déjà trop gros pour les médicaments.
C’est ? Cet être non nommable, ce fœtus sans cerveau, ce minuscule corps privé de pensées. Le rendez-vous est fixé dans ce même hôpital quatre jours plus tard. Le bipeur sonne, la médecin est attendue en salle d’accouchement. Je me demande quel est son ratio accouchement/avortement ? Combien de chérubins arrivés à terme pour combien de ratés ?

Annuler le repas avec mon père. Dans le couloir de l’hosto, je pianote sur mon téléphone. La réponse ne tarde pas.