Claquer la porte ou partir sur la pointe des pieds, franchir le sas, allumer les propulseurs. Couper le GPS. Mettre le cap sur l’inconnu. Éprouver le vertige et l’apesanteur, mais déjà, le décompte est lancé. Dix, neuf, huit, sept, six… Pour Gina, Ito, Nawel, Julien, il n’y aura pas de retour en arrière.
Dernière escale avant la lune propose un caléidoscope de femmes et d’hommes qui face à l’adversité, vacillent et résistent, doutent mais s’insurgent. L’autrice plonge dans l’intimité de ses personnages pour révéler ce qui les tient debout : une sourde obstination à ne pas se laisser enfermer et à reprendre leur chemin. Ailleurs.
- ISBN 9782931080283 (format broché)
- ISBN 9782931080290 (format ePUB)
- 108 pages
- Livre broché - 16€
- ebook - 9.99€
Extrait
L’étoffe d’une mère
La gynécologue entame un monologue plus proche du charabia que du langage parlé, ses yeux rivés sur l’écran. Elle prend des mesures, trace des lignes pointillées, des chiffres apparaissent. Allongée à moitié nue, les pieds dans les étriers, je l’observe avec une pointe d’appréhension. Elle replace ses lunettes bicolores, oriente discrètement l’écran vers elle. Après un temps qui me semble infini, elle se tourne vers moi.
– Le cerveau de votre fœtus ne s’est pas développé. Il va falloir mettre un terme à votre grossesse. Vous avez de la chance, nous sommes en été. Il y a moins de monde, nous allons pouvoir procéder rapidement.
De la chance, vraiment ? Je ne relève pas la maladresse. Ma gynécologue a les cheveux teints, probablement pour masquer ses premiers cheveux blancs. Elle s’active, me tend une serviette, je retire la gélatine étalée sur mon ventre, elle enlève ses gants, passe sa main dans ses cheveux couleur bordeaux grand cru, pousse ses lunettes vers le haut de son nez, occupe l’espace exigu par sa chorégraphie saccadée. Je pense au diner programmé ce soir avec mon père et Gloria, sa nouvelle compagne, une danseuse cubaine de trente ans sa cadette. Gloria qui a les fesses de Beyoncé et la bouche en cul de poule. Je vais annuler ce diner.
La gynécologue se tourne vers moi.
– Ça va ? C’est toujours un petit deuil. Vous voulez appeler votre compagnon ?
Je lui fais signe que non. Antoine n’a pas encore pris la mesure de cette grossesse. Il se montrera surement prévenant, mais ce « petit deuil » je le porterai seule.
La doctoresse enchaine : C’est déjà trop gros pour les médicaments.
C’est ? Cet être non nommable, ce fœtus sans cerveau, ce minuscule corps privé de pensées. Le rendez-vous est fixé dans ce même hôpital quatre jours plus tard. Le bipeur sonne, la médecin est attendue en salle d’accouchement. Je me demande quel est son ratio accouchement/avortement ? Combien de chérubins arrivés à terme pour combien de ratés ?
Annuler le repas avec mon père. Dans le couloir de l’hosto, je pianote sur mon téléphone. La réponse ne tarde pas.