Auteur

Gaëlle Pingault

Auteure, animatrice d’ateliers d’écriture, orthophoniste, Bretonne. Et réciproquement, ou l’inverse. Ça dépend du sens du vent. Celui que je préfère, moi, c’est le noroit qui claque. Pas très sérieuse, enfin… En savoir plus

Extrait

Muy guapa

Dieu qu’elle est belle ! Elle n’a pas changé. Enfin si. Bien sûr que si. Ça ne veut rien dire, pas changé, tout le monde change. Mais elle ne s’est pas altérée. Elle a toujours ces formes voluptueuses, ces yeux rieurs pas tout à fait symétriques, cette bouche ronde et gourmande, ces pommettes juteuses. Toujours cette peau dorée, ces cheveux noir profond, cet accent craquant. La même vitalité débordante émane d’elle. Muy guapa, disait-il. Et elle riait de son accent approximatif, du « ou » qui trainait trop quand il prononçait muy. Elle disait tu n’es pas assez vif, pas assez pétillant, tu dis moui et pas muy, et puis elle riait encore. Elle insistait sur la tonicité de la langue espagnole, mon dieu tu ne peux pas la parler en mode « économie d’énergie », tu ne peux pas ! Débrouille-toi ! Et elle riait inlassablement.

 

Elle est toujours aussi guapa. Dominique en a le souffle coupé. Dix ans qu’il ne l’a pas vue, et le coup au ventre reste le même, puissant. Ça cogne et ça aspire au dedans de lui. Il ne dit rien. Il ne peut pas. Il est heureux, il se sent vivant. Il sourit. Maria est là, avec lui, au restaurant. Après dix ans, Maria ne l’a pas oublié, Maria est venue. Pourquoi maintenant ? La question est bonne, mais il s’en contrefout. C’est bien d’être là, c’est si bien, si bien.

 

I’ve just met a girl named Maria…

 

Ce qu’il avait pu lui chanter West Side Story, quand il l’avait connue… Ça l’exaspérait, elle. Je ne suis pas portoricaine, je suis chilienne, disait-elle.