« Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux. »
Douze nouvelles sur le confinement, le Covid-19 et cette époque trop sure d’elle-même qu’un virus a balayée.
Du 17 mars au 11 mai 2020, Axel Sénéquier est resté confiné dans son appartement parisien. Il a mis ce temps à profit pour faire la connaissance de ses trois enfants et écrire les 12 nouvelles qui composent ce recueil, le deuxième publié par les éditions Quadrature (après Les vrais héros ne portent pas de slip rouge).
Il est aussi auteur de théâtre. Son dernier test PCR s’est révélé négatif mais il continue de se désinfecter les mains plusieurs fois par jour.
- ISBN 978-2-931080-12-2 (format broché)
- ISBN 978-2-931080-13-9 (format ePUB)
- 146 pages
- Livre broché - 16.00€
- ebook - 9.00€
Extrait
Les murs porteurs
« Je suis désolée. »
Chaque fois, ça se terminait de la même manière, par des excuses larmoyantes, qui dégoulinaient sur le tapis du salon ou formaient des flaques écœurantes sur le carrelage de la salle de bain. Comme une chatte affamée, la jolie Pélagie grattait à la porte de la pièce où Thibaut s’était enfermé. De l’autre côté, elle l’entendait renifler. Il lui suffisait de fermer les yeux pour le voir. Avec sa carrure de colosse, le pauvre se recroquevillait dans un coin, contre la baignoire ou le sèche-serviettes. Il enroulait sa tête entre ses jambes, attrapait ses avant-bras et serrait fermement le tout en un paquet mal fagoté. Il avait honte surement et cachait sa détresse.
« Je suis désolée » répéta Pélagie depuis le couloir.
Elle savait que cela risquait d’empirer la situation. Il détestait son chantage affectif mais il n’y avait que ces mots qui lui venaient.
Une fois encore, leur dispute était partie d’une broutille, ou plutôt d’une maladresse de Pélagie. La poésie était tout pour Thibaut, sa raison de vivre et son obsession. Son talent était éblouissant. Dans un monde qui n’offrait comme seul horizon que le divertissement, Thibaut répliquait avec panache par la beauté. Ses vers avaient le souffle d’une tornade en marche. Il était le plus grand poète de ce siècle. Alors, quand un email arrivait sur sa boite pour lui indiquer qu’« en dépit de ses qualités intrinsèques, votre recueil ne correspond pas à notre ligne éditoriale. Nous sommes donc au regret… », Thibaut se transformait en furie.
La première fois, il avait envoyé valdinguer l’ordinateur portable à travers l’appartement. Celui-ci avait explosé, laissant un impact noir sur le mur immaculé. Pélagie en était restée de longues minutes pétrifiée. Ne sachant que dire, elle s’était finalement mise à ramasser les débris et à essayer de les assembler. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il s’agissait d’un puzzle ? Elle était débile ou quoi ? ! Mais elle était dans son truc, obnubilée. « Je connais un réparateur rue de la Convention, il a fait des miracles avec mon iPhone… » Quand elle avait relevé la tête, Thibaut avait le visage défait. Elle ne comprenait donc rien à rien cette conne ? D’un coup de patte, il avait dispersé les morceaux d’électronique aux quatre coins du salon puis avait posé sa large main sur la tête de Pélagie et, sans forcer, l’avait balancée par-dessus la table basse. Le verre du plateau avait miraculeusement résisté mais pas la coupelle et les bougies parfumées. Et surtout pas son cuir chevelu. Il ne l’avait pas frappée, Pélagie avait insisté lourdement sur ce point lorsqu’elle avait raconté l’épisode à ses copines. « Il m’a juste poussée un peu fort. » Juste ? Ensuite, elle s’était cognée la tête contre l’angle de la cheminée. Ses amies avaient halluciné. À l’entendre, elle s’était blessée toute seule.
Dans la presse
Quand on ne sait rien…
le 13 décembre 2021 - Geneviève Munier