Il y a Alice, qui n’aime ni Paris, ni le métro, ni les petits encarts de poésie qui y sont affichés. Qui n’a guère d’autre choix que de faire avec, cependant. Alors elle râle. Pas toujours.
Il y a Nadya, qui souvent marche sur un fil, et qui boit ces quelques vers arrachés au métro comme si sa vie en dépendait. Elle en dépend peut-être. Allez savoir…
Et entre les chassés-croisés de Nadya et d’Alice, se glissent d’autres histoires avec un soupçon de poésie, et sans métro.
- ISBN 978-2-930538-68-6 (format broché)
- ISBN 978-2-930538-69-3 (format ePUB)
- 82 pages
- Livre broché - 10.00€
- ebook - 6.99€
Extrait
Poésie urbaine (1)
C’est forcément l’idée d’un directeur de cabinet à la con. Je ne vois que ça. Un jeune mec aux dents longues, à peu près aussi proche des réalités du bas peuple que ma concierge ressemble à Salvador Dali. Quoique l’exemple soit mal choisi : depuis quelque temps, ma concierge a de la moustache.
Station Fort d’Aubervilliers. Ligne 7. En rose sur le plan. Quand on regarde le plan. Moi, je le connais par cœur. Hélas.
7h12. C’est déjà blindé. Il faudra trois tentatives pour que les portes arrivent à se fermer, je le sais. Trois sonneries stridentes. Dire que je me suis payé un réveil avec une lumière spéciale imitant le lever du soleil, pour être tirée de mes songes le plus naturellement possible et éviter les bip-bip agressifs… Un « simulateur d’aube », oh la jolie formule que voilà… Un truc yoga-zen-je-souris-à-la-vie-youpi. J’ai parfois de grandes idées.
Un directeur de cabinet, donc. Jeune, aux dents longues, prêt à tout pour sortir du lot. On a dû lui demander d’imaginer un truc qui ferait date, pour redynamiser les transports en commun, les rendre plus sympathiques, plus proches des gens. C’est moderne, c’est écolo, il FAUT s’intéresser aux transports en commun, débrouillez-vous mon petit, rendez-les attachants.
Sur le moment, il n’a pas dû trouver ça drôle. Tu parles d’une mission idiote, toi, si le métro était attractif, ça se saurait déjà, non ? Pourquoi pas convaincre le pays entier qu’un nuage radioactif ne sait pas traverser les frontières, pendant qu’on y est…
Je présume qu’il a tourné en rond pendant un moment. Et puis un matin en buvant son café, il s’est dit :
“Euréka, j’ai trouvé.
Je vais coller de la poésie dans les wagons.
Je vais emballer le projet dans un beau papier cadeau de jargon marketing vide de sens, mais plein de belles tournures. J’ai été formé pour élaborer de la fadaise comme s’il en pleuvait, allons-y gaiement : « Ré-enchanter le monde », « l’art pour sublimer la trivialité du quotidien », « la rime à portée de tous », « l’alexandrin descend dans le métro ».”
Si ça se trouve, il en a écrit trois pages.
Voilà.
C’est surement comme ça que ça s’est passé, je ne vois aucune autre explication plausible. Nous devons les encadrés poétiques du métro, ces petits extraits de littérature arrachés sans anesthésie à leur oeuvre complète, puis placardés au fond de chaque wagon, à un petit jeune aux dents longues qui a fait du zèle. Quelqu’un d’un peu plus installé, n’ayant pas besoin de marquer des points pour faire avancer sa carrière, aurait probablement laissé ce projet mourir de sa belle mort. Et il aurait eu raison. Un peu de bon sens nuit rarement.
Le métro, moi, je le prends tous les jours. Pour aller bosser, pour rentrer. Pas le choix. Ligne 7, quasiment de bout en bout. Je monte à Aubervilliers – j’y habite – et je descends à Maison Blanche. Je travaille dans les parages. Train-train de parigot, métro boulot dodo, originalité zéro.
Je suis formelle, pour imaginer un seul instant que la poésie puisse trouver une place légitime dans le métro, il faut quand même en tenir une sacrée couche. Ou bien n’y mettre jamais les pieds. Je gage que c’est cette seconde solution qui s’applique au cas du directeur de cabinet.
Sérieusement, vous connaissez des gens qui se disent les yeux dans les yeux avec le regard pétillant « Ooooooh, mon chéri, vivement ce weekend, que l’on puisse enfin prendre le métro tout notre saoul et passer ainsi de formidables moments d’une poésie rare ! » ? Moi pas.
Je déteste ces encadrés.
Ils sont généralement coincés entre une pub pour le Wall Street Institute (Do you speak Wall Street English ? Je crois pouvoir affirmer que non, et que Dieu m’en garde) et le numéro de téléphone de l’entreprise qui sauvera ta vie en venant faire ton repassage (sinon, tu fais comme moi, tu n’achètes que des fringues qui ne se repassent pas, c’est bien aussi).
Je déteste les encadrés poétiques du métro, oui. Tout comme je pleure sur les oiseaux en cage et les plantes d’intérieur. Pourquoi faut-il que l’on enferme tout ?
Il est des trucs qui sont faits pour la liberté. Point.
Terminus.
Je descends. Ce matin je suis en cabine de massage. C’est Elisabeth qui prendra celle des épilations.
La poésie dans le métro.
Mon cul, oui.
Je suis de mauvais poil, je crois. Et pour une esthéticienne, franchement, c’est de mauvais gout.
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