Des gens comme on en croise tous les jours.
Des maisons devant lesquelles on passe.
Que savons-nous des autres ?
Ceux-ci voient leurs projets de vie incompris ou malmenés.
Faire de son mieux ne suffit pas toujours… dit l’un d’eux.
Et puis ils découvrent que parfois, au cœur d’un regret,
s’ouvrent de nouvelles pistes. Et que leur revient
le gout du voyage.
Huit rencontres.
Huit nouvelles. Qui nous parlent de nous.
Imaginer quelqu’un. Le poser sur le papier. Le doter d’un entourage, d’un lieu de vie, de soucis, d’amours, de bonheurs, de souvenirs, de tout ce qu’il faut pour qu’il prenne âme et chair. Et puis, avec lui – ou elle – tracer un chemin…
Lire, écrire, se glisser dans d’autres vies que la sienne, repousser les murs, Marie France Versailles, psychologue et journaliste dans une autre vie, espère ne jamais se lasser du pouvoir des mots. Trop de choses à se dire est le deuxième recueil qu’elle publie chez Quadrature.
- ISBN 9782930538907 (format broché)
- ISBN 9782930538914 (format ePUB)
- 144 pages
- Livre broché - 16.00€
- ebook - 9.99€
Extrait
Jean-Christian chez lui chez les autres
Appelez-moi Jean-Christian, avait-il dit à la dame qui lui ouvrait la porte, petite jupe droite, débardeur bleu.
Il ne lui avait pas laissé le loisir de s’étonner, il ne fallait surtout pas que la porte se referme devant lui. Il avait souri. Gentiment. Juste le temps de se glisser à l’intérieur pour laisser la porte retomber. Derrière lui.
– Vous attendiez mon épouse, je sais. Elle est en dépression. Je me suis permis – un nouveau sourire, comme une excuse – de me présenter à sa place. Ne craignez rien, j’apprends vite. Mais si cela vous gêne, un homme de ménage, je ne vous en voudrai pas. Je comprendrai.
Trois fois. Il était passé trois fois devant la maison, le numéro 17, continuant jusqu’au bout de la rue, revenant sur ses pas, cherchant à deviner ses habitants. C’est finalement l’air fatigué de la Citroën garée devant l’entrée qui l’avait rassuré. Il avait franchi le sentier de graviers et sonné.
Appelez-moi Jean-Christian…
Ma femme est en dépression. Voilà ce qu’il a déclaré aussi quand il s’est inscrit à l’agence. Comme il aurait dit : Ma femme est en voyage. Pour lui, c’est un peu ça. À ses yeux, aucune autre explication ne pourrait justifier le départ de Marianne.
Il ne peut repérer le moment où elle l’a quitté. Bien avant qu’il ne s’en aperçoive. Avant qu’il ne réalise en la regardant que c’était une autre qui s’asseyait en face de lui à table, une autre qui partageait son lit mais ne l’habitait plus. Bien avant qu’elle ne trouve au fond de son désir perdu les mots qui ont dit, faute de trouver mieux : Je n’ai plus envie…
Toutes les alarmes incendie avaient explosé dans sa tête. Pour le laisser assourdi. C’était environ six mois après la restructuration de l’entreprise et ce renvoi sur le marché du travail où il manquait de compétences à faire valoir. Quelques mois de chômage, de petites annonces, d’espoirs ténus. Il avait tenu bon. Appris à renoncer. À la voiture. À l’insouciance. Aux sorties. Mais pas à tout, il y a des limites : pas au sport. Il avait continué à fréquenter la salle. Pour garder la forme. Son corps restant son seul allié. Le seul sur qui il ait prise encore.
Il le sait bien que Marianne s’est tirée. Dépression ? Une formule qui a l’avantage de mettre les curieux à distance. Tiroir ouvert, étiquetage, tiroir fermé, parlons d’autre chose.
Pour supporter, il faut des mots.
Dans ce jeu, l’entreprise avait pris les devants. Et le directeur des ressources humaines d’aligner les siens : réorganisation, reconversion, recapitalisation, délocalisation… Une colonne à gauche, une à droite, chacun à sa place et à chacun son étiquette.
Restructuration. Jean-Christian a traduit :
– Je n’ai plus de boulot, plus de quoi payer l’emprunt de la maison, j’ai passé l’âge d’être embauché.
Marianne n’avait pas compris.
– Il n’y a rien à comprendre, ça vous tombe dessus, avait-il ajouté.
Peine perdue. Elle était partie.
Dans la presse
« Trop de choses à se dire » sur TV Lux
le 17 juin 2019 - Jean-Pierre Pirson
Des solitudes à consoler
le 14 mai 2019 - Éric Brucher