D’habitude je ne parle pas aux canards. Mais à vrai dire ce n’est pas moi qui ai commencé. C’est le canard – enfin le canard de la bouée en forme de canard, celui qui était près de moi à la plage. Je vous explique. J’étais allongé sur ma serviette, en train de bronzer, j’ai fait un petit somme et quand je me suis réveillé des gens s’étaient installés juste sur ma droite. Il y avait un grand parasol, plusieurs serviettes, des sacs, des pelles et un seau, et là à quelques centimètres de moi la bouée-canard, vous voyez la bouée standard avec sa couleur bien jaune, le bec orange et les deux grands yeux ronds dessinés façon BD, noirs sur fond blanc…
- ISBN 9782930538969 (format broché)
- ISBN 9782930538976 (format ePUB)
- 162 pages
- Livre broché - 16€
- ebook - 9.99€
Extrait
Le signe du singe
Et donc me voici, présentement, moi Ignacio Terrafon, au zoo avec mes deux enfants. Diego et Carlotta. Respectivement sept et quatre ans. Nous sommes devant l’immense cage de verre où quelques singes somnolent. Le panneau parle d’orang-outans venus de Sumatra et, alors que je relève la tête, par un jeu subtil de variation de la lumière ambiante, je vois mon reflet dans la vitre.
Je ne peux m’empêcher de me sourire, non pas par complaisance mais à la vision de l’effet produit, l’illusion comique de la situation. Moi hors de moi, au milieu des singes, homme pensant invité à une sorte de cousinade annuelle !
Je soulève ma casquette pour saluer mes hôtes, qui semblent montrer à mon égard une apathie bienveillante. Je me tourne d’abord vers celui qui est assis près du tronc d’arbre et hoche la tête afin de lui souhaiter le bonjour. Je répète mon geste à l’intention d’un plus grand adossé au rocher, et termine mon tour par celui qui balance mollement, lové dans un grand pneu suspendu. Il me fait signe de m’assoir et je le fais volontiers, nous avons beaucoup marché avec les enfants et me poser un peu est une agréable sensation.
Je me sens délicieusement détaché de l’agitation des heures qui ont précédé, la foule, le mouvement, la trépidation, le piétinement, les cris, la sollicitation permanente.
Même l’agitation de l’affection me quitte, excusez-moi chers enfants en plus vous êtes d’un naturel sociable et peu enclins au caprice, mais je vous laisse pour l’instant à vous-mêmes et je ne suis pas loin. Je désire juste un peu gouter à la familiarité tranquille de ce moment, honorer l’invitation de l’orang-outan du pneu qui balance.
Il m’observe, je le vois bien. C’est un regard en coin, paresseux en apparence, mais il est sans jugement, sans hauteur ni condescendance. Pour un peu je dirais même que j’y décèle une forme de connivence et cela me plaît. Oui, cela me plaît franchement. Quoi, pas un mot à prononcer et d’emblée être accepté ! Sans rite de reconnaissance, sans recommandation préalable, exposition de son statut ou étalage de sa situation. J’ai juste soulevé la casquette et c’est bon, les portes s’ouvrent et personne ne vient me renifler.
Quelle simplicité, quelle accueillante indifférence, quelle élégante nonchalance !
Je voudrais presque l’embrasser ce grand singe, prolonger cette montée d’empathie exaltante, mais mon instinct surement reprend le dessus. C’est que sa carrure m’impressionne. Respect, attention, prudence, je dirais même politesse – je ne suis pas chez moi. Et puis qui suis-je pour déranger, hein ?
Alors je continue de lui sourire, bêtement. Enfin je dis bêtement, je le pense mais je ne sais pas car je ne me vois plus dans la vitre, la lumière a encore changé. Oui les enfants coucou, ne vous inquiétez pas vous pouvez aller, sauter, courir voir les flamants roses, je ne suis pas loin je vous ai dit.
– Pardon ? Oui re-bonjour, moi c’est Ignacio. Ah ? Vous êtes sûr ? Alors j’accepte avec plaisir. C’est vraiment très aimable à vous de me laisser votre place dans le grand pneu.