Douze tableaux, douze nouvelles, douze lunes devrait-on dire… Car on parle ici de lunes, de cycles, de sang. De menstruations. Un thème tabou, un bastion que la littérature a souvent refusé d’investir parce qu’il y a un je-ne-sais-quoi de tribal, de reculé, de primitif dans ces histoires qui doivent rester secrètes, refoulées ou proscrites : qu’elles soient accueillies avec déception, soulagement ou exaspération, les règles nous ramènent à notre condition animale.
Balayant les préjugés, l’auteure parcourt ce delta maudit pour tenter d’accoster sur des rivages parfois glauques, mais pas seulement… En parler sans trivialité semblait définitivement exclu et pourtant Pascale Pujol vous laisse suspendu(e) au fil de son talent.
- ISBN 9782930538761 (format broché)
- ISBN 9782930538778 (format ePUB)
- 100 pages
- Livre broché - 15.00€
- ebook - 9.99€
Extrait
Magie rouge
Esprit de Vénus, je te demande…
Elle posa ses mains gantées sur la barre de laiton froide et brillante du tambour de la porte et s’engouffra dans l’hôtel en frissonnant, poussée par une bourrasque glacée. Elle s’arrêta dans le hall pendant que le tambour finissait de tourner dans un petit bruit étouffé ; son parapluie se mit à goutter sans bruit sur l’épais tapis. C’était un joli hôtel de charme du VIe, chic mais discret, une de ces adresses confidentielles qui échappent à tous les guides mais où l’on ne trouve jamais de chambre libre. S’éloignant de la conciergerie, la jeune femme se dirigea vers le bar, plutôt tranquille à cette heure-ci. La nuit semblait proche mais il n’était même pas dix-sept heures et elle était un peu en avance. Le ciel, gris et bas, était obscurci de gros nuages que les vents violents semblaient avoir accumulés juste au-dessus du quartier où ils déversaient des trombes d’eau.
Au bar, on la débarrassa de son imperméable et de son parapluie puis un serveur l’accompagna à une table basse à l’écart, entourée de trois confortables fauteuils de cuir. Elle posa son sac sur l’un d’eux et s’installa à côté, jeta un œil à sa montre puis se plongea dans la carte des thés. Le serveur revint déposer sur la table deux photophores de porcelaine et alluma les petites bougies. D’instinct, elle en approcha ses paumes ouvertes comme on se réchauffe devant une cheminée.
…de consumer son cœur comme cette flamme consume cette bougie qui brule en ton honneur et pour ta satisfaction…
Comme hypnotisée, elle se mit à jouer du bout de ses longs doigts avec les ombres portées sur la porcelaine presque transparente. Les photophores, qui lui avaient d’abord semblé de la taille d’une tasse à café, ne cessaient de se dilater sous la chaleur et occupèrent bientôt tout le centre de la table. Les flammes rouges grandissaient dans ses pupilles au fur et à mesure qu’elles montaient le long des mèches, menaçant de s’échapper, et bientôt le bar entier devint un théâtre d’ombres léché par des langues de feu.
… Que ce désir soit confié à l’élément du feu, qu’il le transmette aux esprits de Vénus !
Le toussotement du serveur la fit sursauter.
– Avez-vous fait votre choix ? Sa voix tentait de masquer un léger agacement : il l’avait déjà interpelée deux fois sans qu’elle réagisse. La pâtisserie du jour est une tarte au citron meringuée.
– Un thé vert, s’il vous plait. Et je vais me laisser tenter par la tarte au citron.
Une fois le serveur reparti, elle jeta un œil aux photophores : ils reprenaient peu à peu leur taille initiale.
Esprit de Vénus, je veux qu’il vienne à moi…
– Marianne, dit alors une voix derrière elle.
L’homme posa sa main sur son épaule et se pencha pour l’embrasser presque aux commissures des lèvres avant de s’assoir face à elle sur le fauteuil libre.
– Bonjour Arnaud, je suis heureuse de te voir.
– Tu avais besoin de me parler ?
– Veux-tu d’abord commander quelque chose ? Leurs pâtisseries sont excellentes.
– Non, je te remercie, mon déjeuner de travail s’est éternisé, je sors pratiquement de table. Un double expresso plutôt, trancha-t-il en élevant la voix à l’intention du serveur.
En attendant son café, Arnaud observait la jeune femme porter à ses lèvres un gobelet de thé en grès japonais. Ses boucles châtain aux épaules encadraient un visage ovale aux traits réguliers dans lequel brillaient d’intenses yeux noirs. C’était une beauté classique : un teint de porcelaine sous un maquillage discret, le nez droit, la bouche ourlée et délicate, de longs doigts fins qui emprisonnaient la tasse.
Dans la presse
Sur « Sanguines », de Pascale Pujol
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