Le 1er juillet 68, à 9h24, le Rapide 11049 quitte la voie G de
la Gare de Lyon. Il n’arrivera pas à l’heure et de nombreuses vies s’en trouveront changées.
Presque soixante ans plus tard, les traces de ce voyage sont encore visibles.
Un couple sinistré dans la montagne pendant la tempête, un frère et une sœur face à une réduction de corps, un vendeur d’assurance qui n’en manque pas, un voisin trop serviable, une femme dont la mémoire s’effiloche, un vieil homme qui s’évade de la maison de retraite, un autre qui accumule les objets et un écrivain sauvé par Tintin.
La première nouvelle va entrainer les autres, tisser des fils, jouer sur le destin des personnages. Des nouvelles à lire comme un roman.
On s’y croise, s’y décroise, sans se percuter, encore que…
Le Rapide 11049 part toujours de la voie G à 9h24 : n’oubliez pas de composter votre billet.
- ISBN 9782931080504 (format broché)
- ISBN 9782931080511 (format ePUB)
- 140 pages
- Livre broché - 18€
- ebook - 9.99€
Extrait
È pericoloso sporgersi dalla finestra
La grande aiguille de l’horloge de la gare de Lyon eut une secousse et avança au trait suivant indiquant ainsi que la minute précédente ne reviendrait pas. De la place Louis Armand, on ne pouvait pas l’entendre, mais Jacques savait que chaque mouvement mécanique de l’aiguille provoquait un bruit sourd faisant résonner la structure métallique. Il en savait des choses sur cette horloge. C’est l’oncle Antoine, agent SNCF et mémoire vivante de la gare, après avoir été conducteur de trains, qui lui avait raconté toutes les histoires sur cette tour dominant le quartier. Elle avait été imaginée à une époque où tout le monde n’avait pas une montre à son poignet. Aujourd’hui, en 68, on n’avait plus besoin d’horloge pour lire l’heure, mais, dans la mémoire de Jacques, la tour de la gare de Lyon était le symbole du voyage, la porte vers un sud fantasmé que rejoignaient des voyageurs élégants portant de luxueux bagages et s’engouffrant dans les wagons chromés du Mistral.
Les poignées en cuir des deux valises, les plus solides qu’ils aient trouvées, commençaient sérieusement à s’incruster dans la paume de ses mains. Il les posa en haut des escaliers du métro, en débouchant en plein soleil sur le trottoir. Ses mains étaient striées de marques rouges. Il les frotta, mais un regard sur l’horloge lui indiqua qu’il n’avait plus assez de temps pour penser au poids des valises. Celle que portait Monique devait être en carton et ne semblait contenir que des choses légères. C’est évidemment lui qui avait les plus lourdes. C’était bien à l’image de leur couple, elle, marchant devant, légère, décidée, et lui chargé de tout ce qui pesait. Certains jours il se disait qu’il allait lui dire qu’elle exagérait parfois. Oui, il allait le lui dire, mais pour l’instant il fallait avancer malgré la douleur dans les biceps et dans le bas du dos. Le grand hall de la gare était bondé. Il le lui avait bien dit que c’était un des pires jours de l’année, mais Monique avait décidé de prendre ce train, le « train des vacances » comme écrivaient les journaux. Elle disait que c’était le meilleur jour, parmi les milliers de gens partant vers le sud. Jacques n’avait pas insisté.
Malgré l’heure matinale, la chaleur se faisait déjà bien lourde. Leur train à destination de Marseille était annoncé voie G, là-bas à droite. Contractant les muscles de ses bras, Jacques accéléra, essayant de suivre les pas rapides de Monique. Il semblait que ce train devait se séparer à Lyon, une partie allant vers Toulouse, mais il n’était plus temps de rejoindre les wagons de tête, et Monique grimpa dans la dernière voiture de la rame alors que le quai était devenu désert et que des employés en casquette blanche agitaient leurs drapeaux en sifflant pour annoncer le départ.