« Nuit noire. Les phares éclairent ma caisse. Les portes claquent. Quatre types descendent, arme à la main. J’ai juste eu le temps de me libérer pour grimper dans l’arbre. J’observe la manœuvre, perché au milieu du feuillage. J’ai la vessie qui tremble. Pourvu qu’ils ne lèvent pas la tête. Oublie les femmes, Maurice, et respire encore ces collants pour tromper ta peur. »
Entre désillusions et espoirs ténus, l’amour est fragile chez Florent Jaga. Les souvenirs se ravivent pour mieux s’estomper. Les chemins paraissent s’éloigner, puis, contre toute attente, se rejoignent. Plein d’humanité et de tendresse envers ses personnages, Florent Jaga observe les points de bascule avec autant de lucidité que d’empathie. Oublie les femmes, Florent ? Non, surtout pas !
- ISBN 9782930538945 (format broché)
- ISBN 9782930538952 (format ePUB)
- 120 pages
- Livre broché - 16€
- ebook - 9.99€
Extrait
Mariage Ombrageux
Je m’appelle Maxime. Moi, les mariages, ça ne me fait plus pleurer depuis longtemps. Je suis de nature contrariante. C’est ainsi. Je ne lutte pas contre ce penchant, je l’entretiens aussi régulièrement qu’un haltérophile ses deltoïdes. Il me faut chaque jour éprouver l’évidence, ôter le fard, guetter le lapsus, érafler les dogmes.
La mise en scène du bonheur ne m’émeut plus, mais elle me fascine toujours. Aussi, je ne décline jamais une invitation. Il m’arrive même souvent de frauder, lorsque le weekend s’annonce morose, et de me fondre aux convives, le téléphone portable à l’affut. Je serre des mains, j’embrasse des joues lisses et fripées, je savoure le spectacle en m’empiffrant au buffet pendant les temps morts. Le blanc est partout : mouvant en cascade sur la mariée, solennel et immaculé, en nappe sur les tables, en projection sur les grains de riz, élégant et ourlé sur les bouquets de grands lys. C’est surtout un écran, un décor planté entre verdure et vieilles pierres, où chacun est tenu de jouer un rôle d’apparat. Il y a les démonstratifs qui parlent fort et se sentent chargés de faire régner la dictature du bonheur. Lorsqu’ils vous saisissent par les épaules, vous savez qu’ils ne vous lâcheront pas avant l’éclosion timide d’un sourire de circonstance. En général, je ne m’en tire pas trop mal en m’aidant d’une banalité pointée vers le ciel : une expression pour chaque variation climatique. Les démonstratifs ne sont pas très regardants sur l’originalité des propos : ils sont toujours pressés d’accoucher d’autres sourires ailleurs. Lorsque l’un d’entre eux remarque mon œil espion et passe devant, j’évite de le filmer. C’est aussi lié à ma nature contrariante. Prenez une photo de groupe, par exemple. Eh bien mon regard s’attarde immanquablement sur les modestes et les fuyants, ceux dont une partie du visage est mangée par celui d’un autre, ceux qui sortent du cadre parce qu’ils ont rappliqué in extrémis et de mauvaise grâce en cédant à la pression ambiante.
Le blanc est partout et j’incarne le gris. Je suis l’ombre sur l’écran. Je n’ai d’yeux que pour les loseurs, les erreurs de casting, les endimanchés sans grâce, les danseurs ridicules. Je guette les ratés, les chutes, les nez qu’on cure, les culottes que l’on rajuste, les pets sonores, les postillons qui s’échouent aux commissures des lèvres, les sourires moqueurs et les ressentiments affichés. J’enregistre et je compile mes séquences comme on broie les fleurs pour en extraire l’essence. Il m’arrive parfois d’envoyer le résultat à des intimes et leur hilarité me rassure quant à la singularité de mon hobby. Nombreux sont ceux qui regrettent de ne pas posséder une version satyrique de leur propre cérémonie. Il se peut que je les surprenne un jour en leur postant une version de leur plus beau jour en pièce jointe.
Dans la presse
Oublie les femmes, Maurice
le 21 novembre 2019 - yv