Gabriel et Apolline sont-ils des anges de la route ? Les voix des deux narrateurs alternent et se croisent tandis qu’ils pratiquent le covoiturage. Aux passagers de quelques heures embarqués avec leurs problèmes, leurs humeurs, des confidences parfois envahissantes, ils offrent davantage que leur conduite expérimentée et l’habitacle confortable de leurs voitures respectives. L’impromptu s’invite à bord et les protagonistes goutent alors aux extras de l’ordinaire.
- ISBN 9782931080306 (format broché)
- ISBN 9782931080313 (format ePUB)
- 120 pages
- Livre broché - 18€
- ebook - 9.99€
Extrait
L’alchimie du moment
– Je suis allergique aux poils de chat.
Je me suis retenu de répliquer : C’est une chatte. Ça risquait de passer pour une blague sexiste. De nos jours, sait-on jamais ? J’aurais pu la laisser à la porte d’Orléans, tenter sa chance auprès d’un autre conducteur. Mais il pleuvait des cordes et je ne suis pas comme ça. Plutôt du genre à chercher les emmerdes.
Le panier de Lola a été emmailloté dans un plaid. J’espère qu’elle ne va pas manquer d’oxygène mais on est déjà en retard. Ce soir, c’est les quarts de finale de l’Euro et on m’attend à Lyon avec les bières. N’allez pas penser pour autant que je suis un sale macho. La blague sexiste, le foot, les copains et les bières. Plutôt du genre à me faire charrier par les autres car pas assez grande gueule. Il faut bien sacrifier aux rites sociaux et ces types, je les connais depuis le lycée. Ils m’ont empêché de perdre le nord plus d’une fois. Empêché aussi de me laisser couler quand Suzanne m’a plaqué pour un connard de dentiste.
Voilà, ma passagère est installée. On a convenu de laisser la fenêtre ouverte pendant tout le trajet. Tant pis pour ma consommation d’essence. Lola miaule de détresse dans son cachot. C’est parti.
Mon regard n’a fait qu’effleurer au passage son pull bien tendu sur deux globes époustouflants. J’essaye de penser à autre chose. La dernière engueulade avec mon boss, par exemple. Bon, espérons qu’elle ne va pas avoir un œdème de Quincke. J’ai oublié depuis belle lurette mes leçons de secourisme et lui faire du bouche à bouche pourrait passer pour une tentative de viol. Quand je démarre, le CD de Bashung se remet en route. Fantaisie militaire. Le meilleur, selon moi.
– Vous n’avez pas un truc plus zen ?
Elle a le droit de ne pas aimer Bashung. Faille générationnelle, sans doute. Elle doit être à mi-chemin entre ma fille et moi. Les années 2000 n’ont rien produit de fantastique, à part P.J. Harvey et Massive Attack. Comment lui en vouloir d’écouter Britney Spears ? Je lui ouvre la boite de rangement centrale, où gisent de nombreux boitiers de CD dont la moitié sont vides.
– Choisissez. En cherchant bien, vous trouverez peut-être le chant des baleines.
Elle ouvre des yeux en soucoupe.
– Vous écoutez encore des CD ? C’est mignon.
Mignon. Dans sa bouche, ça signifie Péquenaud, Has been, Pas sortable. J’ai un petit coup d’obsolescence et mes épaules s’affaissent tandis que mon pénis rétrécit. Mais je me redresse, comme me l’a conseillé mon psy. Estime de soi. Reprendre son élan. Réapprendre à rugir sans rougir. Mon psy est comportementaliste.
Elle tripote les CD du bout des doigts, comme s’ils étaient sales, en ouvre deux au hasard : vides, renonce.
– On n’est pas obligés d’écouter de la musique. Je n’ai pas de problème avec le silence.