« Il lui arrivait d’entrer dans la salle de bain, sans prévenir, et de m’ébouriffer les cheveux en riant :
– Sois plus cool, comment veux-tu qu’une fille te remarque, sinon ?
C’était son obsession. Je devais attendre qu’elle s’en aille pour retracer ma raie de côté, comme je l’aime. Maintenant je vis seul, avec mes livres. Au moins, je n’ai rien à leur reprocher, si ce n’est qu’ils se croquent quand on les ouvre. Parfois je me dis que je devrais me contenter de les regarder fermés, dans ma bibliothèque. Je lirais les titres, sur la tranche, en penchant la tête de côté. Mais je ne me suis pas encore décidé. »
- ISBN 9782930538204 (format broché)
- ISBN 978-2-930538-21-1 (format ePUB)
- 126 pages
- Livre broché - 15€
- ebook - 9.99€
Extrait
Ne changez rien
– J’ai sans doute tort, mais je regarde peu les fesses des hommes.
Jeanne espère s’être exprimée avec toute l’ironie suffisante pour empêcher Sandra, la jeune aideménagère, de déceler les regrets qui se cachent sous la surface sarcastique. La gamine lui lance un regard déçu et retourne à son magazine people : c’est sa pause de dix heures, elle y a droit. Didi, qui l’a prise en affection, saute sur ses genoux et froisse Brad Pitt photographié sur une plage exotique.
– Toi non plus, tu n’aimes pas les hommes en maillot ? rigole Sandra en caressant la grosse chatte entre les oreilles.
Dans le salon, le ventilateur souligne de ses sifflements asthmatiques le compromis auquel sont arrivées les deux femmes. Pour Jeanne, fenêtres fermées à cause du rugissement des moteurs, sur le boulevard. Même ainsi, leurs vrombissements s’insinuent entre les lattes du plancher, font trembler les tapis persans, secouent ses pantoufles, remontent le long de ses mollets et se faufilent dans ses viscères pour trouver refuge au fond de son estomac où ils vont lui creuser un ulcère, c’est certain.
Pour satisfaire la gamine, s’y ajoute désormais le ronron du ventilateur, à cause de la chaleur. C’est elle qui a déniché l’antique appareil dans le grenier de ses parents et qui l’a transporté jusqu’ici. Une vieillerie qui n’a plus servi depuis les colonies, pense Jeanne, mais somme toute, ça fait du bien, ce petit courant d’air. Et puis sans lui, elle aurait dû se résoudre tôt ou tard à rouvrir les fenêtres si elle ne voulait pas finir fondue comme un glaçon au fond d’un verre. Parfois elle s’imagine en sniper éliminant d’un tir anonyme l’un ou l’autre de ces crétins qui prennent son boulevard pour le circuit de Francorchamps.