« Je sais bien que tu as envie de me lâcher, mais si tu pars un jour, je te préviens, je me pends.
À chaque fois, son cœur saute dans sa poitrine, elle ne s’habitue pas.
Elle reste ou elle se dégage en disant Je reviens avec toute la douceur qui lui reste pour lui, sa douceur s’épuise même pour les enfants et cela elle le redoute plus que tout. »
Les femmes et les enfants d’abord : le cri d’un capitaine de navire qui fait naufrage.
Mais les femmes sont ici de modestes guerrières de tous les jours qui affrontent la solitude, la maladie, la folie, subissent désamour ou injures. Elles s’efforcent d’être assez fortes pour se sauver, et surtout sauver les enfants, ces victimes innocentes, quand le monde menace de couler.
La tendresse est alors un si précieux renfort.
- ISBN 9782931080405 (format broché)
- ISBN 9782931080412 (format ePUB)
- 132 pages
- Livre broché - 18€
- ebook - 9.99€
Extrait
L’ennemi
Il est venu vers moi d’un pas pressé, j’ai pensé qu’il voulait me parler, me demander de quoi s’offrir un ticket de bus, un sandwich, mais il n’avait pas l’air d’un mendiant. Une casquette blanche de baseball plantée sur le sommet de la tête, un blouson de cuir et un jean étroit, il était grand, maigre. Il avait la peau sombre, pas vraiment noire, mais presque. Il m’a barré le chemin.
– Tu n’as pas peur de moi ?
Il était près de vingt-trois heures ce soir-là, je sortais du cinéma Sauvenière, j’étais seule et je remontais la rue, j’étais presque arrivée à ma voiture que je gare souvent à l’ilot Saint-Michel, bravant les contraventions.
J’ai senti le battement sombre de la peur m’effleurer.
Mais j’avais encore la tête pleine de Nathalie Portman, magnifique Jackie Kennedy, le courage, la force de se créer un mythe malgré le chagrin, je me sentais exaltée comme d’un défi et dans un accès de bravade, j’ai répondu :
– Oh vous n’allez pas me gâcher ma soirée !
Et je lui ai souri comme d’une bonne plaisanterie entre nous.
Il m’a regardée comme s’il voulait explorer ma bonne foi.
– Pourtant tu devrais !
C’était dit avec une sorte de douceur menaçante.
Il m’a dépassée et s’est mis à courir vers un autre but.
J’ai rejoint ma voiture en quelques pas, perturbée par notre échange, je me suis retrouvée au volant et j’ai tendu le cou pour voir si je l’apercevais encore. En bas de la rue, sa silhouette en rejoignait une autre et une sorte de ballet flou a commencé entre eux, puis un cri de douleur a vrillé jusqu’à moi. L’autre s’est effondré et le garçon noir est reparti en courant. Il a disparu derrière le tournant.
J’ai fait démarrer le moteur et la voiture a glissé jusqu’à la silhouette étendue à terre. Les jambes débordaient dans le caniveau, je me suis arrêtée au milieu de la route. Je suis sortie et j’ai entendu l’écho de hurlements au loin. L’homme au sol avait la cinquantaine et crispait ses mains sur son estomac en haletant. Une tache rouge s’étendait sur sa chemise claire. J’ai levé les yeux très vite pour voir si le jeune homme sombre ne revenait pas et j’ai plongé mes mains dans le gargouillis de sang. Il me fallait prévenir les secours mais aussi contenir le jet rouge, une artère avait dû être touchée et l’homme allait se vider de son sang, j’ai comprimé ses mains avec les miennes, j’entendais le moteur de ma voiture tourner, j’avais oublié de l’éteindre. Le bruit d’un autre moteur s’est superposé, rageur, une porte a claqué, et quelqu’un a hurlé