En apparence, une enquête policière, une légende paysanne, une chronique de la drogue, une fable de science-fiction écologique sous acides, un conte pour enfants tristes, et même un hommage à la Quatrième Dimension, chaque récit détournant avec passion les règles du genre abordé…Mais sous ces apparences, veille l’enfer et ses multiples masques. Enfer charnel, conjugal, mythologique ou mental, l’enfer de la marge, de la rébellion, de la déchirure, de ce qui ne s’intègre pas, ne s’égalise pas, l’enfer des écorchés, des égarés, évadés du monde et d’eux-mêmes. Ces enfers qui nous happent à tout instant…
- ISBN 2960050622 (format broché)
- 264 pages
- Livre broché - 21.80€
Extrait
La moustache de Dali
Un des premiers rituels de ma journée se situe aux alentours des huit heures. Debout devant la glace de ma salle de bain individuelle, je prends une heure, au bas mot, pour mousser et effiler ma moustache. Le « fier panama de mes lèvres », comme j’appelle ce merveilleux attribut de ma personnalité virile et sans fard. Je suis le premier à me distinguer par une moustache si bien dotée. En comparaison, les moustaches illustres de l’Histoire font pâle figure. Nietzsche, Dumas, Stevenson… l’enfance de l’art. Zola avait une très belle moustache, mais c’est encore peu. J’aimerais vous décrire la mienne, mais je crains de manquer de mots. Imaginez donc la plus fantastique moustache qui soit – eh bien, cette moustache est la mienne. Aussi sensuelle et opulente que la femme qui partage mes nuits depuis trente-deux ans, ma moustache est une seconde épouse pour moi. Mais si la mère de mes enfants partage mes nuits, ma moustache, elle, partage ma vie. Un des plus grands plaisirs de ma vie de peintre, c’est le retrait quotidien dans mon atelier, où ma moustache, vous vous en doutez, me suit sans que nul n’y trouve rien à dire. Mon atelier est, je crois, le plus vaste atelier d’artiste peintre de l’État. À l’image de mon compte en banque, il me procure liberté et confort, tous deux très appréciés de mes pinceaux, qui peuvent alors frémir d’aise au long des jours qui s’étirent. Il n’y a guère qu’en m’éclipsant des vernissages de mes propres œuvres, où les salamalecs de mes riches admirateurs me précipitent immanquablement vers les sorties les plus discrètes, que je goûte à un tel sentiment de délivrance. Il s’en prépare un pour ce soir, justement, de vernissage, dans la grande salle de réception du Sheraton. Nous y attendons beaucoup de monde. Enfin, je dis « nous » par protocole. Personnellement, je n’attends que d’y survivre une nouvelle fois.