Auteur

Cécile-Marie Hadrien

Cécile-Marie Hadrien a œuvré dans les arts appliqués avant de se tourner vers l’accompagnement des personnes par les médiations culturelles et artistiques. Elle a publié une trilogie romanesque aux éditions… En savoir plus

Extrait

Je préfère garder mes chaussettes

 

– Vous pouvez vous déshabiller derrière le paravent.
Combien de fois ai-je entendu cette phrase au cours de ma vie ? Parfois, c’est juste une chaise posée dans un coin et le praticien fait alors mine de s’affairer pour respecter votre pudeur. Dans les cliniques, on dispose d’une cabine entière, comme à la piscine, où une assistante médicale vient vous chercher quand c’est votre tour. Ici, il y a un paravent. C’est plus raffiné.
– J’enlève tout ?
– Oui, c’est préférable.
J’obtempère avec célérité. Inutile de faire perdre son temps à cette femme ni de passer dans son cabinet plus de temps que nécessaire. C’est l’été et le nombre de vêtements à ôter en est réduit : teeshirt, jeans, baskets. Je finis par le soutien-gorge et le slip. En revanche, je garde mes chaussettes. Ce n’est pas que le carrelage soit particulièrement froid. Le cabinet médical est climatisé mais dehors, le bitume est en train de fondre et un peu de fraicheur serait bienvenue. Il faut croire que mes chaussettes sont l’ultime bastion où se réfugie ma pudeur.
Je laisse mes vêtements en tas sur la chaise, les baskets rangées dessous. J’escalade la petite marche pour m’installer sur la table d’examen. Je m’allonge. Je pose sagement les pieds dans les étriers et j’attends.
C’est une histoire banale. La plupart des femmes consultent un gynécologue au moins une fois dans leur vie, beaucoup le font avec régularité. On vient pour un renouvèlement de pilule, un frottis, une MST. On vient avec la crainte ou le désir d’être enceinte. Parfois les deux. Le médecin en profite pour vous palper les seins, rien de mal à cela.
J’ai toujours consulté des femmes, sauf pendant de lointaines vacances en Andalousie où une mycose vaginale m’avait forcée à me rendre aux urgences, accompagnée par mon petit ami. Un jeune interne m’y avait examinée du bout de ses doigts gantés, sans me regarder en face. J’ai trouvé qu’il manquait d’humanité. Il manquait juste de pratique. Pourtant, même sans avoir souffert d’expériences traumatiques, je me sens mal à l’aise et vulnérable quand je suis allongée nue sur le dos, les cuisses largement écartées, face à une personne en blouse blanche. Comment en serait-il autrement ?