L’homme a le chic pour s’enfermer, c’est même l’un de ses plus grands talents. Par paresse, par dogme ou par amour, il entre
en cellule, physiquement ou mentalement.
D’abord il est heureux d’avoir enfin trouvé comment réguler
ses jours. Ensuite il se plaint amèrement, devant la porte fermée dont il a la clé.
Souvent il dit vouloir s’évader, et ses magnifiques tentatives l’occupent une vie entière. Le plus souvent, ça rate, mais ce
n’est pas grave, il a vécu avec panache, avec courage.
Parmi les six tentatives racontées ici, une seule est couronnée
de succès (quoique).
- ISBN 978-2-931080-46-7 (format broché)
- ISBN 9782931080474 (format ePUB)
- 130 pages
- Livre broché - 18€
- ebook - 9.99€
Extrait
Jolie rotonde vide
J’ai pris le métro jusqu’à la Gare de l’Est. J’aurais pu y aller à pied, mais j’ai supposé qu’une fois avec Christophe, on marcherait de concert un moment. Je tenais à l’idée d’une balade à deux, nez au vent, dans Paris ; pour une fois, je ne marcherais pas à côté d’un compagnon imaginaire. J’avais mis des bas qui sont censés tenir seuls, sans porte-jarretelle. Après beaucoup d’hésitation, car porter des bas ça annonce tout de même un programme. Mais après tout, m’étais-je dit, s’il est amené à les voir, c’est que tout se passe assez bien et que précisément ce programme-là se confirme. Puis je m’en étais voulu de ne savoir préparer un rendez-vous qu’avec ce genre de choses : des accessoires. Des accessoires de fille. M’apprêter oui, bien sûr, il fallait bien choisir une tenue ou une autre, mais je regrettais de ne pas avoir assez d’imagination pour sortir de l’alternative : bas ou collants, jupe ou pantalon. Baissant les yeux sur mes escarpins de cuir façon galuchat, je me suis encouragée, me suis félicitée de mon allure : robe en maille années 50, manteau léger à gros boutons. Je me suis redressée. Le ciel était nuageux mais pas menaçant, et même : troué de bleu par endroits. L’enthousiasme est revenu peu à peu, par bouffées, et avec, la foi dans ces retrouvailles, un grand appétit de tout. L’espoir, en somme.
De Stalingrad à Château-Landon, sur la ligne 7, j’ai voyagé face à mon reflet dans les portes ; c’est donc moi, ai-je pensé. Détaillant les visages et les corps qui entouraient le mien, j’ai tout à coup réalisé que je ne savais plus à quoi ressemblait Christophe.
Ce n’était pas bon signe de ne pas se souvenir. Je l’avais beaucoup côtoyé pendant les deux jours du séminaire, puis plus du tout depuis deux semaines que j’étais rentrée. Deux semaines, c’est long et c’est court, et je n’étais pas physionomiste, rien d’autre à en déduire. Je me souvenais au moins de l’impression qu’il m’avait faite : une bonne impression, et c’est tout ce qui compte. Les traits précis du visage, je ne les avais plus, mais la sensation d’une présence dense, qui réverbère l’atmosphère, était encore nette. En deux semaines, je n’avais reçu qu’un message, laissé sur mon portable alors que j’étais au cinéma :
Je serai à Paris samedi, j’arrive à quatorze heures vingt-sept, Gare de l’Est. On se voit ?