« Elle avait déjà décidé, c’est là qu’elle s’installerait. Elle avait retrouvé la vue, elle avait un horizon. Tout à coup, elle respirait mieux. L’air d’ici, elle le sentait, serait vivifiant. Elle serait bien dans cet appartement. De son cinquième étage, elle surplomberait les tracas, regarderait de haut ses chagrins. »
Fenêtre ou couloir ? Contrairement à ce que proposent les compagnies ferroviaires, les choix sont nombreux, changeants et nuancés. Les personnages des dix-neuf nouvelles de ce recueil vivent tous des situations qui questionnent leur place, au sein du couple, de la famille, au travail, ou vis-à-vis d’eux-mêmes : place à trouver, à retrouver, à conquérir, à garder, à ajuster, à accepter ou à quitter.
- ISBN 978-2-931080-08-5 (format broché)
- ISBN 978-2-931080-09-2 (format ePUB)
- 110 pages
- Livre broché - 16.00€
- ebook - 9.99€
Extrait
Au fond de l’église
Ils sont arrivés ensemble, tous les trois, dans une voiture qui suivait le corbillard. Elle, sa fille, son fils. Elle, je la reconnais tout de suite, malgré les années passées sur son visage. Des cheveux blonds, autrefois ils étaient châtains, une silhouette toujours fine. Elle porte des lunettes sombres. Eux, je devine que c’est eux. Ils encadrent leur mère comme des gardes du corps. Sa fille, à gauche. Son fils, à droite. Ils restent un moment sous le porche. Je peux les observer, les entendre se parler sans me faire remarquer. Chercher les ressemblances avec lui. Chez sa fille, je reconnais ses yeux, le même bleu vif, et une gaucherie dans les gestes. Son fils, même mâchoire carrée, même timbre de voix, exactement. Grave, un peu rauque. Ils passent devant moi, vont se placer au premier rang. Ils ne me connaissent pas, ne m’ont même pas vue, une femme au fond de l’église.
La nef est remplie de monde, des dizaines de manteaux noirs en rangs serrés, qui luttent contre le froid de février. Qui sont tous ces gens ? Des confrères sans doute, des infirmières, des gens qu’il a soignés peut-être. Il travaillait encore il y a quelques mois. Et puis des amis, des parents. Son frère j’imagine, cet homme près du pilier a un air de famille. Des connaissances, des voisins, que sais-je. Et moi. Moi qui n’ai pas reçu le faire-part de décès.
Je me demande s’il a voulu cette cérémonie, cette église. C’est elle qui a dû choisir. Je ne sais pas grand-chose de l’homme qu’il était devenu. Le cercueil traverse l’allée centrale au son des grandes orgues. Je sursaute. Pas lui, cette musique-là, ces accords banals, appuyés, presque vulgaires. Personne ici pour jouer Bach avec grâce. Ça me fait quand même monter les larmes aux yeux. Il en reste donc toujours. Le prêtre se met à parler. J’attrape des mots : « homme de conviction », « bon mari », « bon père », « ami fidèle ». C’est lourd, c’est pompeux. Celui que j’ai connu aurait ri, celui que j’ai connu serait sorti de sa boite pour crier « N’en jetez plus ! » Celui que j’ai connu est mort, ce discours que personne n’interrompt me le dit plus encore que le cercueil en bois noir, à vingt mètres de moi.
Dans la presse
« Fenêtre ou couloir », that is the question…
le 22 décembre 2020 -