L’art délicat de la nouvelle

le 13 mars 2018 - Nicole Grundinger

à propos de Quadrature

Quand j’ai découvert par hasard (grâce à ces deux auteures, Pascale Pujol et Gaëlle Pingault qui m’ont fait la gentillesse de m’envoyer leurs recueils) cette maison d’édition, Quadrature, dédiée exclusivement au genre de la nouvelle, j’ai immédiatement été intéressée. Avant d’être séduite par les textes, mais surtout par le travail d’édition qui permet de livrer un vrai […]

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L'article

Quand j’ai découvert par hasard (grâce à ces deux auteures, Pascale Pujol et Gaëlle Pingault qui m’ont fait la gentillesse de m’envoyer leurs recueils) cette maison d’édition, Quadrature, dédiée exclusivement au genre de la nouvelle, j’ai immédiatement été intéressée. Avant d’être séduite par les textes, mais surtout par le travail d’édition qui permet de livrer un vrai recueil, avec une unité voire un fil rouge et pas seulement une compilation de textes (ce que malheureusement les éditeurs traditionnels se contentent trop souvent de faire). Là, on a une vraie logique, à chaque fois.

Commençons par Sanguines de Pascale Pujol, dont le premier roman Petits plats de résistance paru en 2015 au Dilettante avait enchanté quelques-uns des premiers participants à l’aventure des 68 premières fois. L’auteure s’empare d’un thème tabou, caché, celui des menstruations et livre douze textes assez surprenants, n’hésitant pas à convoquer le surnaturel, les croyances ancestrales ou la magie. C’est parfois très cru, souvent étonnant lorsqu’on plonge dans des pratiques artistiques méconnues (mais qui a lu L’embaumeur d’Isabelle Duquesnoy ne sera pas dépaysé) dans la nouvelle intitulée « Technique mixte » qui m’a beaucoup plu. J’avoue me sentir plus à l’aise avec des textes plus « terre à terre » qu’avec ceux qui jouent sur l’occulte ; j’ai particulièrement goûté la réunion de cadres au sommet de celui intitulé « La coupe est pleine », qui dessine avec une belle acuité la façon dont se prennent les décisions à la tête des grandes entreprises de biens de consommation. Quoi qu’il en soit, ces douze textes sont autant d’instants de vie pris sur le vif et rendus avec force et parfois une certaine malice.

Dans Avant de quitter la rame, Gaëlle Pingault (connue pour son premier roman Il n’y a pas Internet au paradis que je ne saurais trop vous conseiller) livre en quelques textes délicats toute l’étendue de son talent à ordonner les mots pour faire jaillir l’émotion. Un fil rouge intitulé « Poésie urbaine » se déroule en sept épisodes qui sont autant d’instants puissants et poignants, campés d’un trait alerte : deux jeunes femmes se croisent sans se connaître dans le métro parisien ; Alice et Nadya diffèrent par leurs milieux, leurs envies, leurs goûts. La première déteste les encarts de poésie placardés dans les rames bondées et mal odorantes tandis que pour la seconde, c’est une bouffée d’air pur qui l’aide à traverser des journées vides de sens et lui inspire aussi ses propres mots à coucher sur un papier. Une nouvelle différente vient ponctuer chacun des épisodes, comme une respiration. Six textes qui vous serrent le cœur d’une belle émotion en capturant des moments de vie où l’on est face à soi-même. Mention spéciale en ce qui me concerne pour « La nuit je ne mens plus » et « Les premières framboises du jardin ». Mais l’ensemble est une sorte de baume qui peut combler les trous à l’âme. suite