Auteur

Françoise Guérin

Françoise Guérin est psychologue clinicienne et écrivain. Elle est l’auteur de quatre romans, trois recueils de nouvelles et de nombreux polars radiophoniques. Elle a collaboré comme consultante et co-scénariste à… En savoir plus

a publié
chez Quadrature

Extrait

Un lundi avec Claire

Elle s’appelle Claire et vient me voir, chaque lundi, pour me parler de ses relations avec Pierre, son mari. Les mots de Claire sont des papillons rares qui butinent jusque dans mes pensées les plus secrètes. Depuis qu’elle fréquente mon cabinet, le lundi est mon jour préféré. J’y puise un surcroît d’existence.

Le lundi, c’est donc le jour où Claire vient poser sa 
longue silhouette sur mon divan gris. Je l’observe à 
la dérobée. Pas de manières, pas de maquillage, elle
s’offre sans masque au regard de l’autre. On pourrait 
la croire invulnérable, il suffit de l’écouter pour se convaincre du contraire. La voix de Claire est cha
leureuse mais comporte de ces inflexions pudiques
 qui évoquent de vieux sanglots réprimés. Son his
toire est celle d’une femme qui a cru aimer. Aimer 
au-delà de tout. Mais le mari qu’elle a choisi est bien
plus fragile qu’elle. Il en va ainsi de ces femmes dont l’apparente solidité attire toutes sortes d’irréducti
bles paumés… Derrière le jeune homme ambitieux,
 se cache une souffrance infinie, de celles qui poussent à rechercher une épouse maternante, fondée à 
réparer toutes les fêlures. Mais cette mère idéale que constitue Claire, dans sa détresse, Pierre ne peut que l’attaquer. Question de fidélité, sans doute, de fidélité à sa mère réelle, si peu secourable. Voilà ce que 
j’ai compris, au fil de ces semaines d’analyse. Et c’est
 ce que raconte Claire, chaque lundi. Avec retenue,
 les yeux baissés, elle dit la douleur de cet homme
 blessé, l’alcool dont il abuse pour soulager ses angoisses et la violence, la violence insidieuse dans laquelle il se laisse glisser, jour après jour, depuis cinq ans. Tandis qu’elle me parle, je scrute, les dents serrées, ce visage où la folie conjugale laisse, semaine après semaine, de nouvelles traces. Je hais cet homme, je le hais de toutes mes forces.