Auteur

Daniel H. Rondeau

Daniel H. Rondeau enseigne le français dans un collège anglophone proche de Montréal. Cet amoureux des mots a créé un univers saisissant, touchant et drôle, porté par une grande sensibilité… En savoir plus

a publié
chez Quadrature

Extrait

Duel sur l’autoroute

Ce matin, je roulais à 120 vers le travail. Rien ne pressait pourtant, mais la moto semblait avoir trouvé l’hiver très long.

Je suivais depuis quelques moments une de ces voitures-camions qu’on excuse par l’arrivée d’un enfant. Dans cette boite de tôle six cylindres, il y avait une gamine au sourire troué qui me regardait avec fascination. Je lui ai fait un salut de la main. Elle n’a pas répondu. Petite conne. Je lui ai donc fait une grimace. Elle s’est cachée jusqu’aux yeux derrière le dossier de la banquette, puis, sans prévenir, elle m’a tiré une balle avec son index. Bang !

Merde ! J’étais touché à l’épaule droite ! Je ne pouvais laisser cette scélérate impunie. Il n’était pas vrai qu’une jeune gosse de banlieue aurait si aisément ma peau. Malgré la douleur, malgré le sang que je laissais par litres sur l’autoroute, je me suis penché sur mon réservoir. J’ai flatté les flancs de ma vaillante Honda puis j’ai accéléré. Arrivé à la hauteur de la camionnette, j’ai visé, un œil sur la route, un autre vers la cible. Bang ! Bang ! La fenêtre arrière a éclaté mais la petite peste a ri, toujours indemne. Elle a riposté. Ma moto en a pris une dans le radiateur. Blessée, la mécanique a boucané aussitôt.

Pour fuir, l’ennemi a signalé son intention de prendre la prochaine sortie. Je devais faire vite sinon je les perdrais. J’ai visé minutieusement. Un buisson sec a traversé l’autoroute en roulant. Close up sur mon œil à moitié fermé. Mon doigt tremblant sur la gâchette. Son plaintif d’harmonica. Bang !

Touché ! La sœur des Dalton a laissé tomber son arme puis a mimé une mauvaise agonie pendant cinq bonnes secondes avant de disparaitre derrière le banc du chauffeur. J’ai vu son père, le regard menaçant dans le rétroviseur, lui ordonner de se calmer. Puis, comme la camionnette s’éloignait dans la voie qui menait à un boulevard quelconque, mon ennemie m’a fait au revoir de la main en riant. Salut cowgirl ! Je lui ai juré que la prochaine fois je viserais son père.

Ce matin, pendant mon cours, j’ai passé mon temps à me masser l’épaule en souriant. Il y a des blessures qui font du bien.

Dans la presse