Des nouvelles âpres ou cyniques, dont le ton cruel ou cru cache des âmes écorchées, à vif. Des portraits brossés vivement dans une matière brute, entre Egon Schiele et Toulouse-Lautrec. Des vies faufilées, des ourlets déchirés, lambeaux de chair ou de tissu qui voilent ou qui révèlent, illuminés çà et là par un humour truculent, rabelaisien, salvateur.
L’auteure a assassiné beaucoup de personnages dans son premier recueil, Le manège des amertumes (Quadrature, 2013). Elle les érafle, affame, insulte et caresse dans le deuxième, avec une grande part de dérision. Les gens sans histoire, les secrets, les failles sont ses récurrences.
- ISBN 978-2-87558-379-6 (format broché)
- ISBN 978-2-930538-55-6 (format ePUB)
- 118 pages
- Livre broché - 15€
- ebook - 9.99€
Extrait
Rauque mon chou
Ce soir aussi, elle entre dans le bar. Elle y va chaque semaine écouter la musique, écouter les piliers, écouter les verres plaqués sur les tables, les conversations sans mots, les rires, le bourdonnement des voix. Elle a mis ses talons hauts, un tee-shirt à sequins, celui des grands soirs. Son pantalon noir la serre un peu, trop de ventre, trop de hanches. Des seins pas fermes. Mais que voulez-vous, l’âge, les années, les larmes, ça vous déglingue une femme.
Elle commande un Martini blanc, l’alcool des filles. On ne peut pas se tromper avec un Martini blanc, c’est toujours chic. Elle fait un clin d’œil sans sourire au barman. Mets-moi des cacahuètes, chou. Elle appelle tout le monde chou ou mon chou ou poulette. Sa voix est rauque mon chou, une vraie fumeuse de comptoir, même si elle n’a jamais fumé, ni au comptoir, ni ailleurs. Enfin, maintenant, avec les nouvelles circulaires, on doit sortir sur le trottoir pour s’en griller une. Sept minutes d’exil volontaire avant de replonger dans la brasse des corps. Ça crée des clans. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien se raconter, dehors, les hommes-cigarettes qui font tant rire les filles qui les suivent ?
Elle s’affaisse un peu, s’en rend compte, redresse le dos, tourne deux fois la tête. Ce soir, il y a concert. C’est bizarre, ces groupes pointus qui viennent s’enterrer dans ce trou. Qu’est-ce qu’ils nous trouvent à nous, péquenauds du Sud qui comprennent rien au blues ? Un piano, une voix rauque, aussi rauque que la sienne, ça lui rappelle quelqu’un, un chanteur, mais elle ne sait plus qui, a son nom sur le bout de… Un autre Martini, mon chou.
Les deux coudes au bar, perchée sur sa chaise haute, les jambes croisées, le pied droit qui s’endort, sa tête suit le rythme de la musique. Elle jette un regard à la salle. Ils discutent, ils rient, ils tapent la carte, celui-là pointe le doigt sur son voisin, celle-là fait la gueule, elle fait toujours la gueule, pourquoi elle vient, on se le demande. La même chose, mon chou.
La chanson est finie, clap clap, y en a deux qui applaudissent. Elle se redresse, son ventre brule. Le Martini fait son effet.
Verre cassé, quelques ballons aux fenêtres, une guirlande lumineuse, une plante en plastique, une ligne de dos contre le bar, des fesses sur des chaises trop étroites, ceux-là se retrouvent, embrassades, tapotage d’épaules, sourires. Celui-là s’endort, il porte deux doigts à la bouche, les yeux mi-clos, comme s’il tirait sur une cigarette. Ligne de dos au bar, un seul s’est retourné, il n’a pas de chaise, il embrasse la salle du regard, ceux-là trinquent, l’une éclate de rire, clap clap, un saxo rejoint le pianiste, quelques whou, celui-là parle d’un peu trop près à la blonde qui balaie la salle du regard. Embrasser, balayer, c’est fou tout ce qu’on peut faire avec les yeux dans un café.
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